La perte de la vision, qu’elle soit progressive ou brutale, bouleverse profondément le quotidien des patients qui en sont atteint. Ces troubles visuels sont souvent irréversibles malgré les meilleures prises en charge médicales. Ils ne conduisent pas à une cécité totale (la plupart du temps) mais entraînent une altération majeure des capacités fonctionnelles. Lire, se déplacer, reconnaître les visages ou encore percevoir son environnement deviennent des gestes pénibles, parfois impossibles.
Face à ces limitations, la rééducation oculaire s’impose comme une réponse thérapeutique fonctionnelle. Loin d’être une méthode palliative, elle permet aux patients de développer des stratégies visuelles alternatives, de réorganiser leurs capacités résiduelles et de retrouver une autonomie satisfaisante.
Comprendre la basse vision
La basse vision désigne une déficience visuelle sévère ne pouvant être corrigée ni par des verres correcteurs classiques, ni par des traitements médicaux ou chirurgicaux. Elle est définie par l’OMS comme une acuité visuelle inférieure à 3/10 au meilleur œil avec correction ou une restriction du champ visuel inférieur à 20°, altérant significativement l'autonomie du patient.
En France, environ 2 millions de personnes sont concernées par un trouble de la vision ⁽¹⁾. Ce sont principalement des personnes âgées, mais également des personnes plus jeunes atteintes de pathologies rétiniennes héréditaires. Parmi les étiologies les plus fréquentes, on retrouve :
- La Dégénérescence Maculaire Liée à l’Âge (DMLA) ;
- Les rétinopathies pigmentaires (comme la maladie de Stargardt) ;
- Les neuropathies optiques (Leber, compressives, toxiques) ;
- Le glaucome à un stade avancé ;
- La rétinopathie diabétique proliférante.
Chaque pathologie entraîne des atteintes visuelles spécifiques. Par exemple, la DMLA induit un scotome central (tâche noire dans la partie centrale du champ de vision), les glaucomes (maladie chronique de l’œil due à des lésions du nerf optique) provoquent une altération périphérique du champ visuel. Les pathologies héréditaires quant à elles, peuvent entraîner des déficits diffus ou progressifs.
Les patients souffrent de difficultés de lecture, de désorientation spatiale, d’un repli social qui favorise les troubles anxiodépressifs.
De ce constat, les médecins vont favoriser une approche fonctionnelle, centrée sur la valorisation de la vision résiduelle.
Fondements de la rééducation oculaire
La rééducation oculaire s’appuie sur un principe fondamental : la capacité du cerveau à s’adapter aux déficiences sensorielles via la plasticité cérébrale (faculté du cerveau à pouvoir se remodeler). Autrement dit, lorsqu’une partie de la rétine est endommagée, le patient peut apprendre à utiliser une autre zone fonctionnelle. Il va notamment solliciter la zone rétinienne.
Par des exercices répétés, cette zone peut être entraînée afin de permettre une récupération partielle de certaines fonctions visuelles, en particulier la lecture.
Dans ce contexte, la rééducation vise à améliorer la stabilité de la fixation, la précision des saccades, la fluidité du balayage visuel et la coordination œil-main.
Le rôle des orthoptistes est ici central, avec des protocoles adaptés selon le profil fonctionnel du patient. Par exemple, en cas de glaucome ou de rétrécissement concentrique du champ visuel, le travail portera davantage sur l’exploration spatiale, la réorganisation du champ de perception et l’anticipation des obstacles. En outre, la stimulation visuelle peut également inclure des techniques assistées par la technologie. Notamment la réalité augmentée ou virtuelle, permet de créer des environnements immersifs pour travailler la locomotion, la lecture ou la reconnaissance d’objets.
Dans tous les cas, le succès repose sur une évaluation initiale fine du profil visuel et cognitif du patient, une planification personnalisée et une alliance thérapeutique forte.
L’éducation thérapeutique du patient malvoyant
L’éducation thérapeutique du patient (ETP) est indissociable de toute démarche de rééducation oculaire. Elle vise à rendre ce dernier, acteur de sa prise en charge, à renforcer ses connaissances et à l’accompagner dans l’apprentissage de nouveaux comportements. Dans le cadre de la basse vision, l’ETP s’organise autour de plusieurs axes :
- Comprendre l’évolution de sa pathologie ;
- Identifier ses capacités visuelles restantes ;
- Apprendre à utiliser correctement les aides visuelles prescrites ;
- Adopter de nouvelles routines dans son environnement.
Les professionnels impliqués (orthoptistes, ergothérapeutes, instructeurs de locomotion, psychologues spécialisés) assurent un suivi structuré, dans le cadre de programmes validés par la Haute Autorité de Santé. Le patient apprend par exemple à :
- Choisir l’éclairage le mieux adapté à ses activités ;
- Organiser son espace de vie pour maximiser les contrastes et minimiser les risques de chute ;
- Manipuler une loupe électronique ou un logiciel d’agrandissement avec fluidité ;
- Entraînement de la mémoire visuelle ;
- Gestion de la fatigue oculaire ;
- Apprentissage de gestes sécurisés en cuisine ou en déplacement urbain.
Ce travail se prolonge parfois avec les aidants. Ces derniers, bénéficient eux aussi d’un accompagnement pour mieux comprendre les besoins de la personne malvoyante. L’objectif pour eux, sera de favoriser l’autonomie sans sur-assister, et maintenir une communication positive.
Les structures de réadaptation spécialisées en France
Les structures dédiées à la rééducation basse vision sont réparties sur l’ensemble du territoire français. Certaines unités hospitalières, comme le service basse vision du CHNO des Quinze-Vingts à Paris ou le pôle rétine du CHU de Dijon, disposent d’une équipe de spécialistes (ophtalmologistes, orthoptistes, ergothérapeutes, instructeurs de locomotion, psychologues, assistantes sociales) capable de prendre en charge des cas complexes.
D’autres centres, comme ceux de la Fondation Valentin Haüy, offrent une prise en charge plus orientée vers la réinsertion sociale et professionnelle. Les patients y bénéficient d’ateliers pratiques, de formations aux aides visuelles, de séances de locomotion en intérieur et en extérieur, de groupes de parole…
L’accompagnement est souvent partiellement financé par l’assurance maladie, les complémentaires santé ou les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH).
Enfin, les nouvelles solutions numériques, dont certaines intégrant la réalité augmentée ou l’intelligence artificielle, permettent désormais de réaliser une partie des exercices à domicile, via tablette ou casque de réalité mixte, rendant la rééducation plus accessible.
Résultats cliniques et bénéfices objectivés par la recherche
De nombreuses publications scientifiques ont validé l’efficacité des programmes de rééducation visuelle, en particulier dans la population âgée atteinte de DMLA. Il y est démontré une amélioration significative de la qualité de vie chez les patients ayant suivi un programme structuré, en comparaison avec un suivi sans intervention fonctionnelle.
L’usage d’aides technologiques, comme les lunettes électroniques à réalité augmentée, permet également d’amplifier certains effets, en particulier sur la reconnaissance faciale et la navigation en intérieur. Enfin, les patients rapportent une amélioration subjective de leur confiance, de leur sécurité et une réduction du besoin d’aide dans leurs déplacements (y compris dans des environnements non familiers). Ces résultats, croisés avec les observations cliniques, confirment la légitimité et l’efficacité de la rééducation oculaire comme outil thérapeutique.
De ce constat, nous pouvons affirmer que la rééducation oculaire est une discipline en pleine expansion, soutenue par les progrès des neurosciences, les innovations technologiques et les exigences croissantes des patients en matière d’autonomie. Elle représente une réponse concrète, fondée sur des bases scientifiques solides, aux défis fonctionnels posés par la basse vision. Pour les professionnels de l’ophtalmologie, il s’agit non seulement d’un levier thérapeutique, mais aussi d’un vecteur de coopération interdisciplinaire entre médecine, optique et technologies de santé. L’implication active du prescripteur dans le repérage des besoins, la coordination avec les structures de rééducation et l’évaluation des résultats est essentielle pour garantir un parcours de soins cohérent et efficace.
⁽¹⁾ Source : Aveugles de France
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